Le théâtre
représente, dans le fond à gauche, le château de
Saint-Edmond. Sur les premiers plans à droite, les barrières
de la lice.
Il fait encore nuit.
Scène première
Avant le lever du rideau, on entend une marche militaire. Malvoisin,
chevaliers, hommes darmes.
Malvoisin Hommes darmes, occupez les avenues qui mènent au champ-clos.
Repoussez tout Saxon qui voudrait en approcher, et éloignez-en
surtout ce musulman que votre coupable négligence a laissé
pénetrér dans la salle du juegement.
(il entre dans la lice)
Scène deuxième
Chur de chevaliers
Chur Faisons silence ;
Me voyez-vous ?
Avec prudence,
Observons tous.
Chassons laudacieux,
Sil vient encor souiller ces lieux !
(ils sortent)
Scène
troisème
Ivanhoé
Ivanhoé (enveloppé dans un manteau)
Voici le château de St.-Edmond ! Cest ici sans doute que Boisguilbert
retient Léila captive ; mais comment lui arracher sa proie ? Ah
! si je nai pu la défendre sur nos rempart, malgré
ma blessure, je me sens la force de combattre pour la sauver. Je suis
parvenu à me soustraire à la surveillance de mon père
; il arme ses vassaux pour demander raison de son injure ; mais pouvais-je
attendre patiemment ces long apprêts ? Cest à moi de
défier et de punir Boisguilbert !... Hélas ! je suis sans
armes ! la barbare prévoyance de Cédric na rien négligé
!.. Que vois je ? Ismaël ! peut-être pourra-t-il me procurer
ce que je désire.
Scène quatrième
Ivanhoé, Ismaël
Ivanhoé Ismaël !
Ismaël Je ne me trompe pas, cest ce généraux chevalier
! le ciel lenvoie pour sauver Léila ! Ah ! ma fille ! ma
pauvre fille !
Ivanhoé Tu las vue ?
Ismaël Hélas ! seigneur, les barbares lont condamnée
à mort.
Ivanhoé Et quel prétexte a pu donner lieu... ?
Ismaël Ils laccusent de trahison. Ah ! seigneur, je nai plus
despoir quen vous.
Ivanhoé Parle, que dois-je faire ?
Ismaël Un paysan, touché de mes pleurs, ma dit que si un chevalier
combattait pour elle, et était vainqueur, larrêt serait
cassé.
Ivanhoé Ô bonheur !.. Mais je suis sans armes.
Ismaël Quoi vous consentirez... Ah ! je puis vous en procurer. Mais lheure
savance. Venez !..
Scène cinquième
Malvoisin, Thierry, hommes darmes
Malvoisin (dans le fond)
Nest ce point Ivanhoé que japerçois ? Viendrait-il
combattre pour Léila ?
(haut)
Thierry, assurez-vous de ces deux fugitifs, la trève est expirée...
Lheure fatale approche. Jattends ici Boisguilbert ; faisons
un dernier effort pour affermir son courage... Mais je le vois qui savance...
il semble plus agité que jamais.
Scène sixième
Malvoisin, Boisguilbert
Boisguilbert Malvoisin, vous êtes mon ami. Je veux sauver Léila ;
il faut que vous maidez à favoriser son évasion.
Malvoisin Que me proposez-vous ? Toutes les issues ne sont-elles pas gardées
par des hommes darmes dévoués à Beaumanoir
? Pourquoi, par une tentative infructueuse, lui donner des armes contre
vous ? Je plains votre égarement ; mais sil pardonne à
lerreur, il punirait le crime... Ne sacrifiez pas votre rang, vos
espérances à une folle passion, au désir insensé
de sauver une infidéle qui vous préfère un Saxon.
Boisguilbert Lingrate ! Mais si je la laisse sans défense, personne
ne voudra se déclarer son protecteur.
Malvoisin Souhaitez-le, loin de vous en plaindre. Si aucun chevalier ne ramasse
le gant, vous naurez contribué en rien à sa mort.
Couvert de vos armes, vous nêtes quun simple spectateur.
Boisguilbert Le sort en est jeté, Malvoisin ; je reprends toute ma fermeté.
Dailleurs ne ma-t-elle pas rebuté, méprisé,
accablé de dédains et doutrages ? Pourquoi lui sacrifierais-je
tout ce que jai plus cher au monde ? Oui, vous me verrez dans la
lice.
Malvoisin Ah ! vous me rendez la vie ! Mais rentrons, la cloche annonce le cortège
funèbre.
(il rentre dans le château)
Boisguilbert Ciel !
Scène
septième
Boisguilbert, seul
Boisguilbert Combat terrible ! ah ! que résoudre ?
A son affreux destin dois-je labbandoner ?
Non, non, cest mon amour qui ta fait condamner,
Cest mon glaive qui doit tabsoudre.
Ah ! de quel souvenir mon
cur est déchiré ;
Je dois paraître dans la lice !
Qui moi ! vainqueur, je lenvoie au supplice,
Vaincu, je suis déshonoré !
Nimporte, cède
aux vux dun amant égaré ;
Et mon bras tenlève à leur rage ;
Mais dun refus épargne-moi loutrage.
Mon amour te plongea dans
labîme,
De labîme il saura tarracher ;
Et cédant aux reords de son crime,
Renverser cet indigne bûcher !
Ah ! pardonne, innocente victime,
Que ton âme se laisse toucher !
Scène huitième
Boisguilbert, chur de chevaliers.
Chur Avançons ; au chagrin qui lopprime,
Chevaliers, il faut larracher.
Boisguilbert (à part)
Horrible soufrance !
Chur Sauver-nous, commandeur, et combattez pour nous
Boisguilbert (à part)
Je sens sallumer mon courroux !
Renoncez à cette espérance !
Chur La marche savance ;
Venez, commandeur !
Boisguilbert (à part)
Ô désepoir ! ô fureur !
Quoi ! je céderais comme un traître ?
(haut)
Non, non, vous allez reconnaître
Votre invincible commandeur !
(à part)
À lheure suprême,
Pour celle que jaime,
Les fers, la mort même
Je vais tout braver !
Injuste puissance,
Ma terrible lance
De votre vengeance
Saura la sauver !
Chur Plein despérance
Saisis ta lance,
Et ta vaillance
Va tout braver !
Chur
de femmes Dieu ! signale ta clémence !
Dieu ! protège linnocence !
Chur
dhommes Dieu confirme la sentence,
Notre arrêt doit saccomplir.
Chur
de femmes Déplorable destinée !
Linnocence va périr !
Chur
dhommes Par Dieu même condamnée,
Linfidèle va périr !
Malvoisin (retenant Boisguilbert qui savance vers Léila)
Que faites-vous ?
Beaumanoir Laissez-le, Malvoisin. Dans un appel au jugement de Dieu, tout ce
qui peut faire connaître la vérité, doit être
permis.
Boisguilbert (à voix basse, sur le devant de la scène)
Léila, mentends-tu ?
Léila Retire-toi, homme cruel !
Boisguilbert Pense au sort qui tattend ! Périr de la mort des plus
grands criminels, être consumée dans un brasier ardent, réduite
en cendres, et dispersée au gré des vents !... Ah ! le cur
dune femme ne peut soutenir un pareil tableau ; tu céderas
à mes prières.
Léila Jamais.
Boisguilbert Écoute moi : en dépit deux tous, ta vie est encore
entre tes mains ; accepte le secours de mon bras, et nous serons bientôt
à labri de toute poursuite. Quils prononcent leur sentence,
je la méprise, quils flétrissent le nom de Boisguilbert,
je laverai dans le sang la tache quils oseront faire à mon
écusson.
Léila (se retournant vers ses gardes)
Quon me mène au supplice.
La marche recommence ; Léila disparaît au milieu des gardes
; Beaumanoir, Boisguilbert, Malvoisin se disposent à la suivre
; tout-à-coup des cris se font entendre.
Scène dixième
Les précédens, un chevalier, la visière baissée
Le chevalier Arrêtez ! je suis noble et chevalier ! je viens ici pour soutenir,
par la lance et lépée, la cause de Léila, fille
dIsmaël, pour faire déclare injuste et illégale
la sentence rendue contre elle, et pour défier sire Brian de Boisguilbert
au combat à outrance, comme traître et meurtrier, ainsi que
je le prouverai à laide de Dieu et de mon droit.
Malvoisin (avec humeur)
Il faut dabord que cet étranger prouve quil est de
noble lignage, nous ne pouvons permettre à notre champion de combattre
inconnu, un homme sans nom.
Le chevalier (levant sa visière)
Albert de Malvoisin, mon nom est mieux connu, mon lignage est plus pur
que le tien. Je suis Wilfrid dIvanhoé.
Malvoisin (surprise)
Ivanhoé !
Ivanhoé Ta ruse est déjounée, Malvoisin ; et mon père
achève den punir les coupables instrumens.
Boisguilbert (dune voix alterée)
Je ne te combattrait pas, je ne veux pas profiter de ta faiblesse.
Ivanhoé Orgueilleux Normand, as-tu donc oublié le tournoi de St.-Jean-dAcre
? Vois si tu pourras recouvrer lhonneur que tu as perdu ? Par saint
Georges, si tu refuses de te mesurer avec moi, je te proclamerai comme
un lâche dans toutes les cours de lEurope.
Boisguilbert (lui lançant un regard farouche)
Eh bien ! oui, jaccepte ton défi ! Prends ta lance, Saxon
; prépare-toi à la mort !
Ivanhoé Le marquis de Beaumanoir moctroie-t-il le combat ?
Beaumanoir Je ne puis le refuser.
Ivanhoé Je demand le combat à listant... Cest le jugement
de Dieu, je mets en lui toute ma confiance... Marchons.
(Ils sortent ; on entend des fanfares.)
Scène onzième
Ismaël, seul
Ismaël Les barbares ! ils mont repoussé !.. Ô terrible
anxiété !... Pendant le combat, jai trouvé
le moment de mechapper ; mais quest devenu Ivanhoé
? Aurait-il péri dans la mêlée ?
Fanfares
Ô ciel
! Voilà le funeste signal ! ma fille !.. ma chère fille
! me seras-tu rendue ?.. Pas une personne à qui dévoiler
ce fatal secret dont la révélation peut te sauver !
Scène douzième
Ismaël, Cédric, Saxons
Cédric (dans le fond)
Amis, mon fils doit être en ces lieux ; courons prévenir
une lutte inégale.
(On entend crier dans la
coulisse : Victoire)
Cédric Ciel !
Ismaël (éperdu)
Quentends-je ?.. Ah ! seigneur !.. de grâce !.. sauvez ma
fille !.. Sauvez la fille de votre ami !
Cédric Que veux-tu dire ?
Ismaël Oui, seigneur, la crainte... lattachement... une douce habitude
mavaient retenu jusquici... Mais il sagit de sa vie
!.. Sachez que Léila, nest autre que cette jeune Édith,
confiée aux soins du vieil Ismaël par votre ancien compagnon
darmes Olric.
Cédric Ô bonheur ! la fille dAlfred-le-Grand ! courons, amis
!... Mais on vient.
FINAL
Chur
dans la coulisse Victoire !
Cédric Quentends-je ?
Ismaël Ô supplice !
Cédric Cruel moment !
Scène
treizème
Les précédens, Ivanhoé, Léila, peuple
Ivanhoé (conduisant Léila vers Ismaël)
Bénis le ciel propice
Qui tarrache au trépas !
Cest lui dont la clémence,
Fidèle à linnocence,
A dirigé ma lance
Et soutenu mon bras.
Ismaël Ma fille est deilvrée !
Mais quels nouveaux regrets
De mon âme envirée
Viennent troubler la paix.
Léila Délivrance inespérée !
Je respire, je ranais !
Cédric (à Ivanhoé)
DOlric ton bras sauve la fille ;
Wilfrid, Édith, soyez unis !
(à Édith)
Reviens au Dieu de ta famille ;
Ô mes enfans, je vous bénis !
Léila (à Ismaël)
Ô bonheur ! ô jour prospère !
Viens, ô mon père,
Reste avec nous.
Ivanhoé Heureux secret ! ô jour prospère !
Ah ! pour mon cur moment bien doux !
Daignez souscrire aux vux dun père :
Oui, mon bonheur dépend de vous ;
Édith, nommez-moi votre époux.
Scène quatorzième
Les précédens, Baumanoir, chevaliers normands
Beaumanoir Le ciel se déclare !
Respectons ses arrêts.
Le traître a confessé ses forfait.
Chur Le ciel se déclare !
Respectons ses arrêts.
Ivanhoé Pourquoi faut-il quun vain nom nous sépare ?
Saxons, Normands, nous sommes tous Anglais !
Chur Oui, soyons tous Anglais !
Scène quinzième Les précédens, Malvoisin
Malvoisin Notre ennemi savance !
Défendez vos foyers !
Amis, je le devance !
Aux armes, chevaliers !
Tous Chevaliers, courons aux armes !
Renvoyons-leur les alarmes !
Quils craignent nos fers vengeurs !
Voici linstant de la vengeance ;
Cet instant est cher à nos curs !
Beaumanoir
et Cédric
Quils tremblent ! la mort nous devance.
Marchons, amis nous reviendrons vainqueurs !
Tous Vengenace ! amis, courons aux armes !
Punissons-les de nos alarmes !
Marchons, guerriers, nous reviendrons vainqueurs !