Acte deuxième

Scène 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10


 

 


Le théâtre représente une salle du château de Saint-Edmond. Une fenêtre avec une plateforme extérieure, sans balustrade.
La scène se passe dans un donjon trés élevé.




Scène première

Léila, seule



Léila
J’ai vainement cherché, je ne vois aucune issue ; ces murailles épaisses, la hauteur effrayante de ce donjon, tout m’interdit l’espoir de la fuite.
Ah ! si le noble Cédric, si son fils pouvaient venir à mon secours !.. Mais que n’ai-je pas à redouter, avant qu’ils n’aient eu le temps de rassembler leurs vassaux dispersés par l’effroi ; et d’ailleurs comment les instruire du lieu où je suis enfermée ?.. Que vois-je ?.. mon père...Il me cherche, le ciel l’envoie pour me sauver... Mais, à une telle distance, il ne peut entendre ma voix... Ô bonheur ! il a vu mes signes ; écrivons :
„ Léila, fille d’Ismaël, au chevalier Wilfrid d’Ivanhoé. Chevalier, je suis prisonniére dans le château de St. Edmond... J’ose implorer votre secours, celui de vos Saxons !.. Mais non, vous êtes blessé !.. Daignez instruire de mon malheur le roi Philippe. Son armée est campée à une demi-journée de Rotherwood “.
Mon Dieu ! je sens que la vie me sera plus chère si je la dois au chevalier dont le souvenir réveille dans mon âme des sentimens si doux.


AIR

Ah ! mon âme en vain expère :
Pardonne-moi, Dieu de mon père !
Par un penchant involontaire,
Vers lui je me sens attirer.
Mais comment unir sur la terre
Ceux que le ciel doit séparer ?

Mais l’amour règne en mon âme,
Et triomphe du devoir.
En vain la raison me blâme :
Mon cœur brûle de te voir !
Ah ! viens, par ta présence,
Alléger ma souffrance,
Et me rendre à l’espoir !




Scène deuxième
Léila, Boisguilbert


Boisguilbert
Charmante Léila !

Léila
Qu’ai-je à craindre ? En veut-on à ma vie ?

Boisguilbert
A votre vie ! Dans des lieux où je commande en maître, qui oserait menacer vos jours ?

Léila
Pourquoi donc me retenir ici captive ? S’il vous faut une rançon, mon père...

Boisguilbert
L’amour et la beauté se chargeront de payer la seule rançon que j’exige.

Léila
Qu’osez-vous dire ? Que peut-il y avoir de commun entre vous et moi ?..

Boisguilbert
Sais tu que je puis te parler en maître ? Tu es ma captive ; je t’ai conquise avec la lance et l’épée, et tu es soumise à mes volontés...

Léila
Arrête ! Ta force peut l’emporter sur la mienne ; mais je proclamerai ta scélératesse d’un bout de l’Europe à l’autre : tes frères d’armes apprendront comment tu observes les sermens sacrés de la chevalerie.

Boisguilbert
Crois-tu pouvoir te faire entendre au delà des murs de ce donjon ? Tu n’en sortiras qu’à une seule condition. Sourmets-toi à ton destin, alors je te fais briller d’une telle magnificence, que les plus fière dames normandes céderont en éclat, comme en beauté, à la favorite de la meilleur lance de l’Angleterre.

Léila
Me soumettre à mon destin ! quel destin, juste ciel ! Toi le plus brave des chevalier anglais ! ta conduite est celle d’un lâche !.. Mais je ne te crains pas, grâce à celui qui a construit cette tour se élevée qu’un être animé ne peut en tomber sans perdre la vie.
(elle court vers la plateforme d’où elle est prête à s’élancer)


DUO

Boisguilbert
Que vois-je ? ô ciel !

Léila
Frémis, cruel !

Boisguilbert
Oui, sa menace
De mon audace
Suspend l’effort.

Léila
Son sang se glace ;
De son audace
Que peut l’effort ?

Boisguilbert
Elle me préfère la mort.

Léila
Oui, son aspect me rassure.

Boisguilbert
Ne craignez nulle injure,
De grâce, écoutez-moi !
Sur mon honneur, je vous le jure
Fiez-vous à ma foi !

Léila
Arrête, ou ta victime
S’élance dans l’abîme
Entr’ouvert sous ses pas

Boisguilbert
La crainte me guide :
Mon cœur s’intimide ;
Sa ruse perfide
L’enlève à mes bras !

Léila
C’est Dieu qui me guide :
J’échappe au perfide :
Mon âme timide
Brave le trépas.

Boisguilbert
Par la foi que j’ai jurée...

Léila
Qui, moi ! croire à ton serment !

Boisguilbert
Ôui, ma parole est sacrée !

Léila
Ô ciel ! et dans quel moment !

Boisguilbert
Crains le transport qui m’obsède !

Léila
C’est toi qui devrais frémir !

Boisguilbert
Écoute !

Léila
Jamais.

Boisguilbert
Viens ! Cède !..

Léila
Fuis, ou je saurai périr !

Boisguilbert
Un seul instant !

Léila
Ô mon père !

Boisguilbert
Vois l’abîme !

Léila
Ô mon père !

Boisguilbert
De mon amour téméraire
Redoute le dernier effort !

Léila
Je méprise ta colère,
Et je brave un vain transport.

Boisguilbert
Ô crainte ! ô tourment ! ô rage
Quoi ! la cruelle m’outrage !
Non, plus d’espoir ; son courage
Entre nous place la mort !

Léila
Que peut ton aveugle rage ?
Je ne crains aucun outrage,
Je t’échappe, et mon courage
Entre nous place la mort !

Boisguilbert
Mais qu’entends-je ?.. on vient ! ..Au nom du ciel, retirez-vous !

Léila, le voyant s’avancer vers elle, s’élance de nouveau vers la plateforme.

Boisguilbert
(effrayé, et reculant précipitamment vers l’extremité opposée)
Ne craignez rien, je n’approche pas ! que ce lieu vous cache aux regards.
(il ouvre une porte secrète)

Léila
(sortant)
Fasse le ciel que je n’aie point à me repentir de ma confiance !





Scène troisième
Boisguilbert, Malvoisin


Boisguilbert
Que venz-vous m’apprendre, Malvoisin ?
Pourquoi cette agitation ?

Malvoisin
C’est pour vous que je tremble, Boisguilbert. Malgré mes avis, vous avez persisté dans une entreprise dont je ne prévoyais que trop les dangers.

Boisguilbert
Que voulez-vous dire ?

Malvoisin
Excités par Maurice de Bracy, votre ennemi, tous les chevaliers murmurent contre vous. On demande quel motif a pu vous engager à attaquer le château de Cédric, au moment où nous devons oublier nos dissensions pour songer à repousser l’invasion de l’étranger.

Boisguilbert
En l’absence de Beaumanoir, je commande l’armée : depuis quand des soldats osent-ils censurer la conduite de leur chef ? Avons-nous besoin de ces vils Saxons pour chasser les ennemis ?

Malvoisin
Vous commandez l’armée, mais le marquis de Beaumanoir est attendu à l’expiration de la trève ; peut-être auriez-vous à vous justifier devant lui. Je ne savais comment conjurer cet orage, lors qu’un homme d’armes, de la compagnie du comte de Bracy, est venu lui apporter une lettre tombée du donjon, dans laquelle Léila invoque contre nous le secours des Saxons et des Français.

Boisguilbert
Eh bien ! achevez..

Malvoisin
Chevaliers, leur ai-je dit, apprenez qu’Ivanhoé est de retour de la croisade ; que cette musulmane est une esclave du roi de France ; que Philippe, sachat qu’elle est aimée d’Ivanhoé, l’a envoyée chez Cédric pour soulever contre nous les Saxons, et que notre digne chef, instruit de ce complot, s’est vu forcé d’employer la violence pour se rendre maître de l’instrument de leur perfidie.

Boisguilbert
Qu’avez-vous fait, Malvoisin ? Quoi ! sans me consulter..

Malvoisin
Le péril était pressant, il fallait vous disculper : de Bracy n’ignore pas l’amitié que le roi de France vous témoignait pendant la croisade. Craignez de lui donner cette arme contre vous.

Boisguilbert
Je la laisserais périr ! Malvoisin, ce conseil est celui d’un...

Malvoisin
(l’interrompant)
D’un ami qui vous rend un service dont vous sentirez plus tard l’iportance. C’était un mal nécessaire et que vous pourrez réparer. Il vous sera facile de la faire absoudre : vous êtes tout-puissant en l’absence de Beaumanoir.

Boisguilbert
Mais j’entends le clairon !

Malvoisin
Ô ciel ! Beaumanoir rentre dans le château.

Boisguilbert
Fatal retour !

Malvoisin
Ne perdez pas tout espoir ! Peut-être est-il temps encore ! Je cours !..
(il sort)



Scène quatrième
Boisguilbert, Léila


Boisguilbert
(courant à la chambre où est renfermée Léila)
Léila ! Léila ! un danger terrible vous menace !..

Léila
Quel autre ennemi que vous.. ?

Boisguilbert
Écoutez-moi : on vous accuse d’avoir profité de la trève pour vous introduire chez Cédric, et ménager des intelligences entre les Saxons et les Français.

Léila
Et quelle preuve avance-t-on pour soutenir une telle imposture ?

Boisguilbert
Une lettre tombée entre les mains d’un chevalier..

Léila
Ô ciel ! je causerais la perte de mon généreux défenseur !

Boisguilbert
(avec humeur)
Pensez à vous, Léila... Dans ces temps de guerre et de discorde, un soupçon de trahison est puni comme le crime : il n’y a qu’un instant, j’aurais pu prévenir le fatal arrêt ; mais Beaumanoir est de retour.

Léila
Dieu de mes pères !

Boisguilbert
Ne craignez rien, je veux vous sauver.

Léila
Vous !

Boisguilbert
Moi ; mais maintenant ce ne peut être que par la force, et j’accompagnerai votre fuite. Alors je suis dégradé, déshonoré, accusé de complicité avec les infidèles ; le nom illustre que je porte devient un titre de honte et de reproche ; et cependant j’oublie mon honneur, je renonce à ma renommée, je sacrifie l’avenier le plus brillant si vous consentez à me dire : Boisguilbert, je suis à vous.

Léila
Qui ? moi ! acheter à ce prix votre protection ? Ah ! je cours implorer la justice de votre général, il m’entendra !..

Boisguilbert
Oui, courez vous livrer à sa vengeance ; mais voici Malvoisin !..





Scène cinquième

Les précédens, Malvoisin


Boisguilbert
Eh bien ?

Malvoisin
Il n’etait plus temps ; de Bracy m’avait prévenu. Au moment où j’accourais au davant de Beaumanoir, j’ai entendu ces funestes paroles : ‘Lorsque les Français sont à nos portes, nous devons à tout prix contenir les Saxons dans le devoir, et prévenir, par un exemple rigoureux, mais nécessaire, les tentatives perfides de nos ennemis’. En un mot, par son ordre, le conseil vient de s’assembler, et la lettre fatale est sous les yeux des juges.


TRIO

Léila
Souffrance cruelle !
Angoisse mortelle !
Mon âme chancelle !
Je me sens mourir.

Boisguilbert et Malvoisin
Souffrance cruelle !
Angoisse mortelle !
Son âme chancelle !
Elle va périr.



Scène sixième
Les précédens, un chevalier, Chœur


Un chevalier
Suivez-nous, le conseil vous demande,
Qu’à son ordre à l’instant on se rende.

Léila
Plus d’espoir ! leur fureur sanguinaire
A déjà résolu mon trépas.
À la mort rien ne peut me soustraire !
C’en est fait, il faut suivre leur pas.

Boisguilbert et Malvoisin
Á la mort nous saurons vous soustraire !
Calmez-vous ! nous marchons sur vos pas !

Léila
Dieu puissant, toi qui vois ma détresse,
Daigne, hélas ! protéger ma faiblesse
Et désarme, à ma voix, ton courroux.

Boisguilbert et Malvoisin
Malgré moi j’ai causé sa détresse !
Léila, ne crains pas leur courroux.

Chœur
L’heure presse !
A l’instant suivez-nous.




Scène septième
Boisguilbert, Malvoisin


Boisguilbert
Que voulez-vous de moi ? Faut-il la laisser périr ? Je vais trouver Beaumanoir ; je brave sa puissance !..

Malvoisin
Arrêtez ! il paraît disposé à l’indulgence ; ne le forcez pas à user de rigueur.

Boisguilbert
Eh bien ! qu’ils prononcent leur sentence barbare ! Le jugement de Dieu cassera l’arrêt des hommes ! Je serai son champion, et nous verrons s’il est un chevalier en état de me disputer la victoire !

Malvoisin
Vous vous perdez sans la sauver ! Vous ne pouvez paraître dans la lice sans l’autorisation de votre général ; et vous la donnera-t-il pour combattre un de vos frères d’armes ? Vous ne feriez qu’éveiller ses soupçons. Au lieu de tout braver, employons la ruse : entrez en champ-clos pour la défendre ; mais la visière baissée, en chevalier qui cherche les aventures pour prouver la bonté de sa lance.

Boisguilbert
Oui, ce projet m’enchante ! Que Beaumanoir nomme son champion, d’un seul coup de lance je lui fais vider les arçons.
(en écrivant sur ses tablettes)
"Acceptez le secours de mon bras, Léila ; et ne refusez pas, au moins pour chevalier, celui que vous dédaignez pour amant"...Marchons.

(ils sortent)





Le théâtre change et représente une grande salle dans le château de Saint-Edmond.




Scène huitième
Le marquis Lucas de Beaumanoir occupe le tribunal ; plus bas sont assis les chevaliers. Il fait nuit ;
la salle du conseil est eclairée par des torches.


Chœur de chevaliers

Race infidèle.
Peuple rebelle,
L’ombre éternelle
Va t’engloutir !

Déjà, le glaive
Sur toi se lève !
ton sort s’achève,
Tu vas périr !

Dieu nous contemple ;
Donnons l’exemple
À l’unnivers.

Votre heure sonne,
La foudre tonne,
Tremblez, pervers !

Beaumanoir fait signe de ramener l’accusée devant ses juges ; elle rentre, et bientôt après paraissent Boisguilbert et Malvoisin.




Scène neuvième
Les précédens, Léila, Boisguilbert, Malvoisin, soldats


Beaumanoir
(debout)
„ Léila, musulmane, fille d’Ismaël, esclve du roi de France, convaincue de s’être chargée au près de Cédric d’une mission secrète de Philippe, tendante à soulever les Saxons contre les Normands et d’avoir renouvelé ses tentatives criminelles, dans une lettre adressée au chevalier Wilfrid d’Ivanhoé, où elle cherche à allumer contre nous la guerre civile et étrangère, aux termes des lois militaires, est condamnée à être brûlée vive. L’arrêt sera exécuté demain avant la sixième heure du jour. “

Léila et Malvoisin
Quel coup m’/l’accable !
Nuit effroyable !
Arrête coupable !
Sort implacable !
Moment d’horreur !

Dieu de clémence,
Vois ma/sa souffrance.
D’une sentence
Aussi cruelle
Ma/Sa voix appelle.
Sois mon/son vengeur.

Léila
Prends la défense
De l’innocence.

Chœur
Point de clémence !
Plus d’espérance !
La mort s’avance !
Tu vas périr !

(Pendant cette partie du morceau, Léila lit à la dérobée les tablettes, qui lui ont été remise par Boisguilbert.)

Léila
(en jetant son gant)
Dieu, j’en appelle à ta sentence !

Tous
Quelle espérance
Vient de s’offrir ?

Léila, Boisguilbert, et Malvoisin
Heureux présage !
Ce faible gage
Suspend leur rage,
Et le courage
Rentre en mon/son cœur.

Dieu de clémence,
Vois ma/sa souffrance.
D’une sentence
Aussi cruelle
Ma/Sa voix appelle.
Sois mon/son vengeur.

Chœur
Mais quel présage !
Ce faible gage
Calme l’orage,
Et le courage
Rentre en son cœur.

Dieu de vengeance,
Point de clémence !
De la sentence
Sa voix appelle.
De l’infidèle
Punis l’erreur !




Scène dixième
Les précédens, Ismaël


Malvoisin
Que vois-je ?

Ismaël
Ô transports !

Malvoisin
Ciel ! quel est ce mystère ?

Boisguilbert
Dieu ! son père ! ô remords !
Comptez sur mes efforts !

Léila
Fuyez, je vais mourir, mon père !

Ismaël
Ah ! barbares, voyez ma misère !
Rendez-la moi !

Léila
La flamme est prête, adieu !

Boisguilbert
Que votre cœur espère :
Mon sang éteindra le feu !

Beaumanoir
(faisant porter le gant à Boisguilbert)
Boisguilbert, l’infidèle,
A notre arrêt rebelle,
A Dieu même en appelle :
Sois notre défenseur !

Boisguilbert
Qui, moi ! lâche complice
D’un injuste supplice,
J’entrerais dans la lice ?
Pour moi quel déshonneur !

Beaumanoir
Combats, que ta vaillance
Rachète ton erreur !

Malvoisin
(prenant le gant présenté a Boisguilbert)
Craignez de leur vengeance
L’implacable fureur !

Chœur
Oui, prend notre défense,
Illustre commandeur !

Ismaël
Gran Dieu, vois ma détresse !

Léila
Je cède à ma douleur !

Malvoisin
(regardant Boisguilbert)
Le trouble qui l’oppresse
Me glace de terreur !

Léila
Injuste arrête ! ô fatale rigueur !

Léila, Boisguilbert, Malvoisin, et Ismaël
Dieu de clémence,
prends notre défense.
Vois mon/son innocence,
Et dans ma/sa souffrance
Daigne me/la secourir !

Chœur
Tremblez ! la mort s’avance !
Vous allez périr !
Vengeance !

Léila
Je vais périr !



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