Le théâtre
représente une salle du château de Saint-Edmond. Une fenêtre
avec une plateforme extérieure, sans balustrade.
La scène se passe dans un donjon trés élevé.
Scène première
Léila, seule
Léila Jai vainement cherché, je ne vois aucune issue ; ces
murailles épaisses, la hauteur effrayante de ce donjon, tout minterdit
lespoir de la fuite.
Ah ! si le noble Cédric, si son fils pouvaient venir à mon
secours !.. Mais que nai-je pas à redouter, avant quils
naient eu le temps de rassembler leurs vassaux dispersés
par leffroi ; et dailleurs comment les instruire du lieu où
je suis enfermée ?.. Que vois-je ?.. mon père...Il me cherche,
le ciel lenvoie pour me sauver... Mais, à une telle distance,
il ne peut entendre ma voix... Ô bonheur ! il a vu mes signes ;
écrivons :
Léila, fille dIsmaël, au chevalier Wilfrid dIvanhoé.
Chevalier, je suis prisonniére dans le château de St. Edmond...
Jose implorer votre secours, celui de vos Saxons !.. Mais non, vous
êtes blessé !.. Daignez instruire de mon malheur le roi Philippe.
Son armée est campée à une demi-journée de
Rotherwood .
Mon Dieu ! je sens que la vie me sera plus chère si je la dois
au chevalier dont le souvenir réveille dans mon âme des sentimens
si doux.
AIR
Ah ! mon âme en vain
expère :
Pardonne-moi, Dieu de mon père !
Par un penchant involontaire,
Vers lui je me sens attirer.
Mais comment unir sur la terre
Ceux que le ciel doit séparer ?
Mais lamour règne
en mon âme,
Et triomphe du devoir.
En vain la raison me blâme :
Mon cur brûle de te voir !
Ah ! viens, par ta présence,
Alléger ma souffrance,
Et me rendre à lespoir !
Scène
deuxième
Léila, Boisguilbert
Boisguilbert
Charmante Léila !
Léila
Quai-je à craindre ? En veut-on à ma vie ?
Boisguilbert
A votre vie ! Dans des lieux où je commande en maître, qui
oserait menacer vos jours ?
Léila
Pourquoi donc me retenir ici captive ? Sil vous faut une rançon,
mon père...
Boisguilbert
Lamour et la beauté se chargeront de payer la seule rançon
que jexige.
Léila
Quosez-vous dire ? Que peut-il y avoir de commun entre vous et moi
?..
Boisguilbert
Sais tu que je puis te parler en maître ? Tu es ma captive ; je
tai conquise avec la lance et lépée, et tu es
soumise à mes volontés...
Léila
Arrête ! Ta force peut lemporter sur la mienne ; mais je proclamerai
ta scélératesse dun bout de lEurope à
lautre : tes frères darmes apprendront comment tu observes
les sermens sacrés de la chevalerie.
Boisguilbert
Crois-tu pouvoir te faire entendre au delà des murs de ce donjon
? Tu nen sortiras quà une seule condition. Sourmets-toi
à ton destin, alors je te fais briller dune telle magnificence,
que les plus fière dames normandes céderont en éclat,
comme en beauté, à la favorite de la meilleur lance de lAngleterre.
Léila
Me soumettre à mon destin ! quel destin, juste ciel ! Toi le plus
brave des chevalier anglais ! ta conduite est celle dun lâche
!.. Mais je ne te crains pas, grâce à celui qui a construit
cette tour se élevée quun être animé
ne peut en tomber sans perdre la vie.
(elle court vers la plateforme doù elle est prête
à sélancer)
DUO
Boisguilbert
Que vois-je ? ô ciel !
Léila
Frémis, cruel !
Boisguilbert
Oui, sa menace
De mon audace
Suspend leffort.
Léila
Son sang se glace ;
De son audace
Que peut leffort ?
Boisguilbert
Elle me préfère la mort.
Léila
Oui, son aspect me rassure.
Boisguilbert
Ne craignez nulle injure,
De grâce, écoutez-moi !
Sur mon honneur, je vous le jure
Fiez-vous à ma foi !
Léila
Arrête, ou ta victime
Sélance dans labîme
Entrouvert sous ses pas
Boisguilbert
La crainte me guide :
Mon cur sintimide ;
Sa ruse perfide
Lenlève à mes bras !
Léila
Cest Dieu qui me guide :
Jéchappe au perfide :
Mon âme timide
Brave le trépas.
Boisguilbert
Par la foi que jai jurée...
Léila
Qui, moi ! croire à ton serment !
Boisguilbert
Ôui, ma parole est sacrée !
Léila
Ô ciel ! et dans quel moment !
Boisguilbert
Crains le transport qui mobsède !
Léila
Cest toi qui devrais frémir !
Boisguilbert
Écoute !
Léila
Jamais.
Boisguilbert
Viens ! Cède !..
Léila
Fuis, ou je saurai périr !
Boisguilbert
Un seul instant !
Léila
Ô mon père !
Boisguilbert
Vois labîme !
Léila
Ô mon père !
Boisguilbert
De mon amour téméraire
Redoute le dernier effort !
Léila
Je méprise ta colère,
Et je brave un vain transport.
Boisguilbert
Ô crainte ! ô tourment ! ô rage
Quoi ! la cruelle moutrage !
Non, plus despoir ; son courage
Entre nous place la mort !
Léila
Que peut ton aveugle rage ?
Je ne crains aucun outrage,
Je téchappe, et mon courage
Entre nous place la mort !
Boisguilbert
Mais quentends-je ?.. on vient ! ..Au nom du ciel, retirez-vous
!
Léila, le voyant
savancer vers elle, sélance de nouveau vers la plateforme.
Boisguilbert
(effrayé, et reculant précipitamment vers lextremité
opposée)
Ne craignez rien, je napproche pas ! que ce lieu vous cache aux
regards.
(il ouvre une porte secrète)
Léila
(sortant)
Fasse le ciel que je naie point à me repentir de ma confiance
!
Scène
troisième
Boisguilbert, Malvoisin
Boisguilbert
Que venz-vous mapprendre, Malvoisin ?
Pourquoi cette agitation ?
Malvoisin
Cest pour vous que je tremble, Boisguilbert. Malgré mes avis,
vous avez persisté dans une entreprise dont je ne prévoyais
que trop les dangers.
Boisguilbert
Que voulez-vous dire ?
Malvoisin
Excités par Maurice de Bracy, votre ennemi, tous les chevaliers
murmurent contre vous. On demande quel motif a pu vous engager à
attaquer le château de Cédric, au moment où nous devons
oublier nos dissensions pour songer à repousser linvasion
de létranger.
Boisguilbert
En labsence de Beaumanoir, je commande larmée : depuis
quand des soldats osent-ils censurer la conduite de leur chef ? Avons-nous
besoin de ces vils Saxons pour chasser les ennemis ?
Malvoisin
Vous commandez larmée, mais le marquis de Beaumanoir est
attendu à lexpiration de la trève ; peut-être
auriez-vous à vous justifier devant lui. Je ne savais comment conjurer
cet orage, lors quun homme darmes, de la compagnie du comte
de Bracy, est venu lui apporter une lettre tombée du donjon, dans
laquelle Léila invoque contre nous le secours des Saxons et des
Français.
Boisguilbert
Eh bien ! achevez..
Malvoisin
Chevaliers, leur ai-je dit, apprenez quIvanhoé est de retour
de la croisade ; que cette musulmane est une esclave du roi de France
; que Philippe, sachat quelle est aimée dIvanhoé,
la envoyée chez Cédric pour soulever contre nous les
Saxons, et que notre digne chef, instruit de ce complot, sest vu
forcé demployer la violence pour se rendre maître de
linstrument de leur perfidie.
Boisguilbert
Quavez-vous fait, Malvoisin ? Quoi ! sans me consulter..
Malvoisin
Le péril était pressant, il fallait vous disculper : de
Bracy nignore pas lamitié que le roi de France vous
témoignait pendant la croisade. Craignez de lui donner cette arme
contre vous.
Boisguilbert
Je la laisserais périr ! Malvoisin, ce conseil est celui dun...
Malvoisin
(linterrompant)
Dun ami qui vous rend un service dont vous sentirez plus tard liportance.
Cétait un mal nécessaire et que vous pourrez réparer.
Il vous sera facile de la faire absoudre : vous êtes tout-puissant
en labsence de Beaumanoir.
Boisguilbert
Mais jentends le clairon !
Malvoisin
Ô ciel ! Beaumanoir rentre dans le château.
Boisguilbert
Fatal retour !
Malvoisin
Ne perdez pas tout espoir ! Peut-être est-il temps encore ! Je cours
!..
(il sort)
Scène
quatrième
Boisguilbert, Léila
Boisguilbert
(courant à la chambre où est renfermée Léila)
Léila ! Léila ! un danger terrible vous menace !..
Léila
Quel autre ennemi que vous.. ?
Boisguilbert
Écoutez-moi : on vous accuse davoir profité de la
trève pour vous introduire chez Cédric, et ménager
des intelligences entre les Saxons et les Français.
Léila
Et quelle preuve avance-t-on pour soutenir une telle imposture ?
Boisguilbert
Une lettre tombée entre les mains dun chevalier..
Léila
Ô ciel ! je causerais la perte de mon généreux défenseur
!
Boisguilbert
(avec humeur)
Pensez à vous, Léila... Dans ces temps de guerre et de discorde,
un soupçon de trahison est puni comme le crime : il ny a
quun instant, jaurais pu prévenir le fatal arrêt
; mais Beaumanoir est de retour.
Léila
Dieu de mes pères !
Boisguilbert
Ne craignez rien, je veux vous sauver.
Léila
Vous !
Boisguilbert
Moi ; mais maintenant ce ne peut être que par la force, et jaccompagnerai
votre fuite. Alors je suis dégradé, déshonoré,
accusé de complicité avec les infidèles ; le nom
illustre que je porte devient un titre de honte et de reproche ; et cependant
joublie mon honneur, je renonce à ma renommée, je
sacrifie lavenier le plus brillant si vous consentez à me
dire : Boisguilbert, je suis à vous.
Léila
Qui ? moi ! acheter à ce prix votre protection ? Ah ! je cours
implorer la justice de votre général, il mentendra
!..
Boisguilbert
Oui, courez vous livrer à sa vengeance ; mais voici Malvoisin !..
Scène cinquième
Les précédens, Malvoisin
Boisguilbert
Eh bien ?
Malvoisin
Il netait plus temps ; de Bracy mavait prévenu. Au
moment où jaccourais au davant de Beaumanoir, jai entendu
ces funestes paroles : Lorsque les Français sont à
nos portes, nous devons à tout prix contenir les Saxons dans le
devoir, et prévenir, par un exemple rigoureux, mais nécessaire,
les tentatives perfides de nos ennemis. En un mot, par son ordre,
le conseil vient de sassembler, et la lettre fatale est sous les
yeux des juges.
TRIO
Léila
Souffrance cruelle !
Angoisse mortelle !
Mon âme chancelle !
Je me sens mourir.
Boisguilbert
et Malvoisin
Souffrance cruelle !
Angoisse mortelle !
Son âme chancelle !
Elle va périr.
Scène
sixième
Les précédens, un chevalier, Chur
Un chevalier Suivez-nous, le conseil vous demande,
Quà son ordre à linstant on se rende.
Léila
Plus despoir ! leur fureur sanguinaire
A déjà résolu mon trépas.
À la mort rien ne peut me soustraire !
Cen est fait, il faut suivre leur pas.
Boisguilbert
et Malvoisin
Á la mort nous saurons vous soustraire !
Calmez-vous ! nous marchons sur vos pas !
Léila
Dieu puissant, toi qui vois ma détresse,
Daigne, hélas ! protéger ma faiblesse
Et désarme, à ma voix, ton courroux.
Boisguilbert
et Malvoisin
Malgré moi jai causé sa détresse !
Léila, ne crains pas leur courroux.
Chur
Lheure presse !
A linstant suivez-nous.
Scène septième
Boisguilbert, Malvoisin
Boisguilbert
Que voulez-vous de moi ? Faut-il la laisser périr ? Je vais trouver
Beaumanoir ; je brave sa puissance !..
Malvoisin Arrêtez ! il paraît disposé à lindulgence
; ne le forcez pas à user de rigueur.
Boisguilbert Eh bien ! quils prononcent leur sentence barbare ! Le jugement
de Dieu cassera larrêt des hommes ! Je serai son champion,
et nous verrons sil est un chevalier en état de me disputer
la victoire !
Malvoisin Vous vous perdez sans la sauver ! Vous ne pouvez paraître dans
la lice sans lautorisation de votre général ; et vous
la donnera-t-il pour combattre un de vos frères darmes ?
Vous ne feriez quéveiller ses soupçons. Au lieu de
tout braver, employons la ruse : entrez en champ-clos pour la défendre
; mais la visière baissée, en chevalier qui cherche les
aventures pour prouver la bonté de sa lance.
Boisguilbert Oui, ce projet menchante ! Que Beaumanoir nomme son champion,
dun seul coup de lance je lui fais vider les arçons.
(en écrivant sur ses tablettes)
"Acceptez le secours de mon bras, Léila ; et ne refusez pas,
au moins pour chevalier, celui que vous dédaignez pour amant"...Marchons.
(ils sortent)
Le théâtre
change et représente une grande salle dans le château de
Saint-Edmond.
Scène huitième
Le marquis Lucas de Beaumanoir occupe le tribunal ; plus bas sont assis
les chevaliers. Il fait nuit ;
la salle du conseil est eclairée par des torches.
Chur de chevaliers
Race infidèle.
Peuple rebelle,
Lombre éternelle
Va tengloutir !
Déjà, le glaive
Sur toi se lève !
ton sort sachève,
Tu vas périr !
Dieu nous contemple ;
Donnons lexemple
À lunnivers.
Votre heure sonne,
La foudre tonne,
Tremblez, pervers !
Beaumanoir fait signe de
ramener laccusée devant ses juges ; elle rentre, et bientôt
après paraissent Boisguilbert et Malvoisin.
Scène neuvième
Les précédens, Léila, Boisguilbert, Malvoisin,
soldats
Beaumanoir
(debout)
Léila, musulmane, fille dIsmaël, esclve du roi
de France, convaincue de sêtre chargée au près
de Cédric dune mission secrète de Philippe, tendante
à soulever les Saxons contre les Normands et davoir renouvelé
ses tentatives criminelles, dans une lettre adressée au chevalier
Wilfrid dIvanhoé, où elle cherche à allumer
contre nous la guerre civile et étrangère, aux termes des
lois militaires, est condamnée à être brûlée
vive. Larrêt sera exécuté demain avant la sixième
heure du jour.
Léila
et Malvoisin
Quel coup m/laccable !
Nuit effroyable !
Arrête coupable !
Sort implacable !
Moment dhorreur !
Dieu de clémence,
Vois ma/sa souffrance.
Dune sentence
Aussi cruelle
Ma/Sa voix appelle.
Sois mon/son vengeur.
Léila
Prends la défense
De linnocence.
Chur
Point de clémence !
Plus despérance !
La mort savance !
Tu vas périr !
(Pendant cette partie du
morceau, Léila lit à la dérobée les tablettes,
qui lui ont été remise par Boisguilbert.)
Léila
(en jetant son gant)
Dieu, jen appelle à ta sentence !
Tous
Quelle espérance
Vient de soffrir ?
Léila,
Boisguilbert, et Malvoisin
Heureux présage !
Ce faible gage
Suspend leur rage,
Et le courage
Rentre en mon/son cur.
Dieu de clémence,
Vois ma/sa souffrance.
Dune sentence
Aussi cruelle
Ma/Sa voix appelle.
Sois mon/son vengeur.
Chur
Mais quel présage !
Ce faible gage
Calme lorage,
Et le courage
Rentre en son cur.
Dieu de vengeance,
Point de clémence !
De la sentence
Sa voix appelle.
De linfidèle
Punis lerreur !
Scène dixième
Les précédens, Ismaël
Malvoisin
Que vois-je ?
Ismaël
Ô transports !
Malvoisin
Ciel ! quel est ce mystère ?
Boisguilbert
Dieu ! son père ! ô remords !
Comptez sur mes efforts !
Léila
Fuyez, je vais mourir, mon père !
Ismaël
Ah ! barbares, voyez ma misère !
Rendez-la moi !
Léila
La flamme est prête, adieu !
Boisguilbert
Que votre cur espère :
Mon sang éteindra le feu !
Beaumanoir
(faisant porter le gant à Boisguilbert)
Boisguilbert, linfidèle,
A notre arrêt rebelle,
A Dieu même en appelle :
Sois notre défenseur !
Boisguilbert
Qui, moi ! lâche complice
Dun injuste supplice,
Jentrerais dans la lice ?
Pour moi quel déshonneur !
Beaumanoir
Combats, que ta vaillance
Rachète ton erreur !
Malvoisin
(prenant le gant présenté a Boisguilbert)
Craignez de leur vengeance
Limplacable fureur !
Chur
Oui, prend notre défense,
Illustre commandeur !
Ismaël Gran Dieu, vois ma détresse !
Léila
Je cède à ma douleur !
Malvoisin
(regardant Boisguilbert)
Le trouble qui loppresse
Me glace de terreur !
Léila
Injuste arrête ! ô fatale rigueur !
Léila,
Boisguilbert, Malvoisin, et Ismaël
Dieu de clémence,
prends notre défense.
Vois mon/son innocence,
Et dans ma/sa souffrance
Daigne me/la secourir !
Chur
Tremblez ! la mort savance !
Vous allez périr !
Vengeance !